La route

La Route
De Cormac McCarthy, Editions de l’olivier, 02/2008, 245 p. € 21,00

olivier591-2008

Difficile de faire autant avec si peu : Un homme, son fils, un caddie et la route. La route qui traverse un monde cramé. Tout est dit sur la 4°de couverture.
L’apocalypse a eu lieu. Vous ne saurez ni quand, ni comment, ni pourquoi. C’est une extinction majeure, comparable, ou pire, à celle du permien. Plus une bête sur la terre ni un oiseau dans les airs ni un poisson dans les mers. Peut-être un hypervolcanisme comme on le suppose au permien et comme Stephen Baxter l’a envisagé dans Evolution. Des cendres jonchent le monde, obscurcissent le ciel, refroidissent le climat. Plus rien, nulle-part, ne semble devoir pousser si ce n’est l’espoir qui les pousse vers le sud.
L’humanité réduite à presque rien mérite-t-elle encore seulement ce nom ? Un certain temps s’est écoulé depuis la catastrophe. Tout a été pillé, utilisé. Les ultimes survivants en sont réduits à s’entre-dévorer. A manger leur bébé rôti à la broche… Pour ceux qui, comme l’homme et son fils, n’ont pas encore régressé en-deça du plus ancien et fort tabou de l’humanité, il faut compter sur la chance. Parce que, quand l’heure de l’anthropophagie a sonné, comme le chantait les Stranglers, « même le Bon Dieu nous a laissé tomber ». Il faut trouver un « gisement » de conserves oublié… Quand, à la fin, le fils rencontre un autre homme, ils se parlent ainsi « A peu près ton age. Peut-être un peu plus./Et vous ne les avez pas mangés./Non./Vous ne mangez pas les gens ?/ Non. On ne mange pas les gens » (p. 242)
Le père puise dans son fils la force de mettre encore le pied gauche devant le droit, et encore. Sans le petit, il aurait déjà renoncé. Depuis longtemps. Le petit a foi en son père. Il croit qu’ils sont les « gentils » et qu’ils « portent le feu ». Tout un symbole : la dernière lueur d’humanité.
Le plus souvent, la SF postapocalyptique se conclut par une remise à zéro des compteurs et un nouveau départ. Rien de tel ici. Il n’y a pas vraiment d’espoir si ce n’est vraiment pas d’espoir. La Route est certes un récit désespéré mais il n’est toutefois pas aussi pessimiste que peu l’être Génocide de Thomas M. Disch. Dans cet univers en proie au mal et livré à la violence subsiste dans le cœur du petit une dernière once d’espoir, de foi en l’humanité. Toute morale n’a, malgré les circonstances dramatiques, pas encore disparu devant des impératifs de survie ravalant l’homme au rang d’animal affamé.

McCarthy-Cormac
La Route nous apparaît comme un journal impersonnel, à la 3° personne, sans date ni chapitrage. On est à la fin des temps. Peut-être même déjà aux Enfers où, quoique n’ayant rien à expier, l’homme pousse son caddie empli de vestiges de la vanité humaine devenus vitaux comme Sisyphe son rocher. « Il faut qu’on s’arrête, dit-il. /Il fait très froid. /Je sais. /Où on est ?/ Où on est ?/ Oui. /Je n’en sais rien. /Si on allait mourir, tu me le dirais ?/ j’en sais rien. On ne va pas mourir. » (p. 85) Tout au long de La Route, l’homme et son fils sont en butte au froid, à la pluie, à la neige, à la faim, à la peur, redoutant les rencontres. Cormac McCarthy réussi à rendre cette lente pérégrination vibrante et terriblement vivante. Si les gestes sont lents, lourds de fatigue, engourdis par le froid, la tension est permanente, extrême ; magnifiquement rendue par l’écriture dépouillée à l’instar du monde et de leur situation.

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« C’est un livre d’une grandeur exceptionnelle… Peut-être faut-il remonter jusqu’au Château et jusqu’au Procès pour trouver une interrogation aussi dramatique et aussi passionnée sur la raison de vivre et sur la fatalité du destin humain. » Ecrivait Marcel Brion non à propos de La Route mais du Désert des tartares de Dino Buzzati. Le roman de Cormac McCarthy diffère tant par la forme que par l’histoire mais les mots me font défaut pour formuler un propos aussi pertinent. Très dur, le roman n’en reste pas moins étonnamment facile à lire. L’énorme talent de McCarthy a réalisé la parfaite alchimie de l’écriture et du sujet.

©Jean-Pierre LION 2015