Les mémoires de Zeus

 

Les Mémoires de Zeus

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De Maurice Druon de l’Académie Française, Bragelonne, 07/2007, 431 p. €22,00

Trouver le secrétaire perpétuel de l’Académie Française, lauréat du Goncourt en 48, au beau milieu du catalogue Bragelonne, parmi les Feist, Brooks, Goodkind et autre Gemmel, est une surprise. Pas le genre de chose à laquelle on s’attend. Comme trouver une grenouille dans son chapeau ; à cette différence qu’en fin de compte, cette surprise s’avérera des plus agréables. Un académicien c’est (censé être) un auteur sérieux. Certains de ses confrères ne se gênant nullement de gratifier la science-fiction (et la fantasy – surtout telle qu’elle se publie chez Bragelonne) de leur souverain mépris. Alors ? Est-ce une œuvre de jeunesse que l’auteur n’eut pas renié ? Non point. Né la même année que Sturgeon ou Farmer, en 1963, Maurice Druon n’a plus rien d’un jeune auteur et, en 67, quand paraît la seconde partie de l’ouvrage auquel quatre ans de labeur supplémentaire ont été nécessaires, les palmes académiques l’ont déjà honoré.

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Ces Mémoires de Zeus ne sont pas un roman de fantasy. C’est un récit mythologique. Une mythologie grecque globale, aussi exhaustive que possible. Or, la mythologie est, disons, le code source de la fantasy. Mais, la mythologie grecque est, hormis la Bible, celle que l’on connaît le mieux et, produite par une civilisation écrite, elle est moins malléable que d’autres, laisse moins de liberté d’interprétation. Pourtant, de son propos même (p.13) Maurice Druon affirme reprendre cette liberté d’interprétation des mythes là où les Anciens l’avaient laissée. « Les auteurs anciens utilisaient les mythes ou les enrichissaient, au gré de leur inspiration poétique ou des nécessités de leurs démonstrations philosophiques » Sa plus grande difficulté, il l’a rencontré en essayant de reconstituer une chronologie des mythes. Ce faisant, il a fait apparaître une genèse – sous le règne d’Ouranos – puis une préhistoire – sous celui de Cronos. « Celui qui souhaite retrouver la vision que les Anciens avaient du cosmos et de l’homme dans ce cosmos, doit s’adresser à la mythologie grecque comme à la plus proche des théogonies complètes qui sont la source de la pensée d’Occident » (p.11) C’est à cette fin que l’auteur se devait d’introduire une chronologie, d’organiser ce corpus d’histoires sur une échelle temporelle. Ainsi, la guerre qui oppose Zeus à son père, Cronos, dure 240 000 ans… cronosvszeus

A cette époque, l’Atlantide – qui a un petit parfum de paradis terrestre, comme une équivalence si vous voulez – s’est déjà abîmé dans flots depuis longtemps, à l’aube du règne de Cronos. Une échelle de temps bien plus vaste que celle que l’on a coutume d’estimer. Nous, les hommes, ne serions pas la première race humaine mais la cinquième (p.65) Si nous comptons Neandertal, Habilis, Erectus, Australopithèques et autres pithécanthropes… Il y a moyen de poser sur ce canevas au moins certaines connaissances modernes.
Si l’ouvrage a pu reparaître chez Bragelonne, c’est, entre autre, parce qu’ « encouragés par le ton volontairement jovial de certains chapitres, (des lecteurs) ont voulu tenir l’ouvrage pour un simple divertissement littéraire. » Si l’on peut effectivement lire ces Mémoires de la sorte, pour l’auteur, cet aspect jovial revêt une toute autre profondeur. « Les Anciens, parce que pour eux les dieux étaient intérieurs au monde, y participant et en formant la trame, savaient introduire l’ironie, voire la farce, dans les mythes sans pour cela en altérer la profondeur ou la signification. » (p.12) Ils pouvaient cela car ils ignoraient la notion de péché originel, c’est à dire de péché contre Dieu lui-même.
Le principal reproche que j’adresserai à cet ouvrage, parce que je suis un homme moderne et non un Ancien, c’est de ne proposer ni index ni tableau généalogique, ce qui eût été bien utile car, sur l’Olympe, la famille recomposée est connue de longue date et l’inceste monnaie des plus courantes. Sous le règne de Zeus, seul le couple Fils/Mère semble proscrit : le roi ne tenant pas à arborer les cornes du cocu. Tous ces dieux à la parentèle emberlificotée à souhait semblent issus d’une culture clanique endogène, mais ce n’est là qu’une interprétation…

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Maurice Druon se propose, à travers cet ouvrage, d’atteindre un double objectif. Le premier, on l’a vu, consiste à faire œuvre mythologique : A revivifier la mythologie grecque, à la rendre à nouveau opérante, lui permettre d’apporter un éclairage sur le monde. Le second, moins profond, est simplement didactique ; comme à mi-chemin entre la première ambition et ne voire en ces Mémoires qu’un aimable divertissement. Ces Mémoires de Zeus peuvent être lues pour acquérir la connaissance de ce corpus mythique sans pour autant aller jusqu’à y puiser une grille d’interprétation du monde.
Au fil du texte, on découvre quantité de noms, on apprend qui est qui. Cependant, beaucoup ne sont que des noms dans le Gotha de l’Olympe sans que nul récit ne leur soit attaché. On les mentionne en passant comme s’il eut été impoli de ne point le faire.
Outre l’aspect mythologique, Druon exprime aussi une pensée propre, qu’il la prête ou non à Zeus. « …dix ans d’homme, c’est toujours le temps qu’il faut à la jeunesse pour se faire connaître, conquérir ses places, affirmer ses droits. Celui qui laisse passer ces dix années-là sans audace, révolte ni labeur, se prépare une triste maturité, et sa vie, pauvre d’œuvres, ressemble beaucoup à l’inexistence. » (p.66, et plus loin) « Je me dis que l’ignorance est souvent la condition nécessaire de l’entreprise. Ce ne sont pas les vieillards qui font les révolutions ; et s’ils s’en trouvent à leur tête, c’est qu’ils en avaient rêvé quand ils avaient vingt ans. » A maintes reprises, M. Druon donne aussi matière à réflexion. Il serait vraiment dommage de s’en priver.

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Voici un livre absolument indispensable, une pierre angulaire de notre culture ravalée et polie. Remercions Bragelonne d’avoir remis ce texte à disposition d’un grand nombre de lecteurs potentiels qui n’ont pas forcément accès (ou du moins un accès facile) aux auteurs anciens. Si parfois l’énumération devient quelque peu fastidieuse, ce n’est vraiment qu’un moindre mal. J’aurais adoré pouvoir lire ce livre quand j’avais dix ou onze ans et que j’étais curieux de tels récits mythologiques mais je ne suis pas né dans un foyer où on lisait les Académiciens. A lire, relire, à découvrir et à offrir aux gamins et aux gamines qui posent des questions sur les origines du monde, des choses, de l’Homme et la leur, tout simplement. Et qui plus est, c’est superbement écrit même si (ou parce que) ce n’est pas dans le style le plus moderne. Une extraordinaire aubaine à ne laisser passer sous aucun prétexte.

©Jean-Pierre LION 2015